Bonheur simple

Corinne-Christol-Banos-Ecrivain-Nouvelle-Bohneur-Simple

Piste d’écriture : chercher un objet et l’utiliser de son point de vue

De tous les matins, celui-ci je l’attendais avec impatience. J’avais soif, très soif et j’étais à sec. Je me languissais de sentir l’eau frémir dans mon ventre, de la laisser couler, filtrer tout le long de mon gosier.

La cuisine était en place, bien rangée et je me demandais combien de temps devrais-je encore attendre avant d’assouvir cette envie lancinante.

Soudain, une lumière s’alluma puis le son discret de chaussons glissants sur le sol m’avertit que bientôt, peut-être, j’allais être satisfaite.

Deux cochons roses faisant eux aussi grise mine, puis la fée clochette me regardant en souriant, apparurent à l’angle de la pièce. Ils se balançaient au rythme des pieds et du corps qui les portaient. Des paillettes, elles aussi roses, me faisaient des clins d’œil à chaque mouvement de Lucie, la petite fille de la maison. Elle bailla à s’en décrocher la mâchoire, puis me lança :« Salut toi ! » avant d’aller s’asseoir sur sa chaise.

Tout à coup, un ronflement bruyant me fit sursauter et je vis arriver avec effroi Hector, le bouledogue de la famille, qui semait sa bave un peu partout à chacun de ses pas. Il m’avait à plusieurs reprises « arrosée » et j’en conservais un souvenir très vexant. Chaque fois, je patientais jusqu’à ce que quelqu’un veuille bien m’essuyer !

Enfin, celle que je préférais, arriva. Isabel. Ses longs cheveux blonds me chatouillaient quand elle m’attrapait pour me remplir d’eau. Elle le faisait avec beaucoup de précautions, sans me renverser ni me faire perdre la tête comme cela se produisait quelques fois avec le reste de la famille. Elle restait près de moi et me tenait de manière à ce qu’aucune goutte ne tombe à côté de mon bec verseur. Elle optait toujours de m’emplir par ce moyen au lieu d’enlever mon bouchon central pour y verser l’eau du robinet. Mon bouchon me donnait des rhumatismes et l’entendre grinçait me faisait frissonner de toute ma carcasse métallique.

Je me délectais enfin de l’eau qui rafraîchissait ma gorge desséchée. Puis elle me posa délicatement sur le feu de la gazinière et je me réchauffais au fil des bulles qui explosaient à chaque seconde dans mon squelette de soumise domestique.

La présence de mon amie me donnait de l’importance et j’assumais mon rôle avec bonheur et enthousiasme. Je me rinçais le gosier avec délectation et humais les délicieuses senteurs des infusions et des thés s’impatientant dans leur bol.

Ma petite musique signifiant que j’étais prête se fit entendre et enfin le moment tant souhaité, celui que je préférais à tous, MON moment, arriva !

Elle me prit dans ses mains, me souleva précautionneusement, fit glisser de ma bouche l’eau frémissante sur les fleurs et fruits séchés composant les boissons. Des arômes subtils envahirent immédiatement toute la cuisine qui se parfuma de douces senteurs aromatiques.

Repue, satisfaite, je reposais à nouveau sur mon socle.

J’attendrais patiemment mon autre moment préféré de la journée, le goûter, où à nouveau je remplirais mon rôle avec bonheur et partagerais cette complicité établie depuis de nombreuses années.

Corinne Christol-Banos – Copyright 2019

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