Conspiration fraternelle

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Piste de lecture : Inventer un dialogue

Le père posa sur la table de la cuisine une carte du monde. Il la déplia et coinça les bouts récalcitrants qui s’obstinaient à se relever. Il les bloqua par deux verres abandonnés, un cendrier qui traînait et le quatrième par le coude de son épouse qui n’en faisait rien !

Elle regarda son mari avec une grimace comique sur le visage exprimant son mécontentement. Elle connaissait par cœur ses enfants, et leurs mines renfrognées ne laissaient présager rien de bon.

Lilou et Arthur, une moue barrant leurs visages, regardèrent le morceau de papier comme ils auraient accueilli un plat de brocolis !

– Bien. Comment fait-on ? le père regardait tour à tour son épouse puis ses enfants. Est-ce que l’on vote à main levée, ou bien on fait pile ou face, ou alors on peut aussi fermer les yeux et placer un doigt au hasard ? Ça peut être amusant de procéder de cette façon, non ?

Comme aucune réponse ne venait, il insista.

– Qu’est-ce que vous en pensez ? enthousiaste, un sourire transfigurant son visage de part et d’autre de ses joues, il attendait de sa famille la même réaction.

Deux profonds soupirs furent la réponse.

Les parents se regardèrent, cela allait être plus compliqué que prévu.

– La Thaïlande ? Qu’est-ce que vous en dites ? Nous n’y sommes jamais allés. Ce serait super, non ? questionna la mère essayant de paraître optimiste.

– Pour mourir noyés par un tsunami ? répliqua Lilou. Très peu pour moi ! Son portable dans la main, elle ne leva même pas les yeux pour répondre.

Cette fois-ci, ce furent les parents qui montrèrent leur mécontentement. La mère se leva abandonnant le coin rebelle à son sort. Elle se prépara un café sans regarder son mari. Elle sentait son regard la suivre.

– Alors les États-Unis ? le père continuait. On pourrait visiter le grand canyon et y faire de l’escalade ? Il y a des agences de tourisme qui sont spécialisées dans ce domaine. Un collègue a justement…

– Ah ouais, l’interrompit Arthur, t’as pas vu le film où le gars il reste coincé pendant des jours dans une paroi, et qu’il est obligé de se couper le poignet pour s’en sortir ? Il faisait de grands gestes tout en expliquant son point de vue. Au passage, il dévoila ses ongles rongés. Il s’aperçut de la subite attention de son père sur sa main et la mit bien vite dans sa poche.

La mère se recroquevilla. Les enfants avaient décidé de boycotter toutes leurs propositions !

Le père redressa les épaules face au combat qui s’avérait difficile.

– Les Philippines alors ? C’est un très beau pays…

– Où il y a souvent des coups d’État ! termina leur fille. Toujours sur son téléphone, sa mère le lui prit à la volée, l’éteignit et le rangea au fond de son sac.

– Mais… Lilou s’arrêta net quand elle vit les yeux de sa mère. Elle comprit son intérêt à se taire.

Refusant de se laisser vaincre par leur progéniture dévastatrice, ils continuèrent d’énumérer les pays aux noms évocateurs qui laissaient entrevoir des paysages idylliques. Sur le ton de l’humour, ils rentrèrent dans le jeu de leurs enfants :

– Alors si je te dis la Réunion, tu vas me répondre qu’on va se faire bouffer par les requins…

Et la mère de continuer :

– Et les fjords de Norvège, qu’on va rester bloqués avec le bateau par des icebergs. C’est ça ?

Les épaules voûtées, les regards fixes et les mentons soutenus par des mains aux poings fermés, ils ne parlaient plus.

– On ne veut pas partir ! aboya tout à coup Lilou.

– Ouais on veut rester ici ! s’entêta le frère en redressant le menton d’un air belliqueux.

- Mais pourquoi ? s’étonna la mère. D’habitude vous êtes super-contents de choisir notre lieu de vacances !

– On est trop grands pour partir avec vous maintenant ! s’insurgea leur fils de 9 ans.

- C’est ça, on est trop âgés pour vous suivre comme des bébés ! insista sa sœur du haut de ses 13 ans.

Le père n’en croyant pas ses oreilles, sursauta, faisant tomber par la même occasion le cendrier qui se fracassa sur le sol, manquant au passage, assommer le chien.

– En plus, continua leur fils, partout où vous proposer d’aller on ne peut pas prendre Voyou !

Celui-ci sentant qu’il avait son rôle à tenir, aboya en entendant son nom.

– Mais comment ça ? On ne le prend jamais, c’est Mamie qui le garde à chaque fois. Rappela la mère.

– Justement, c’est le moment où jamais de faire autrement, et de veiller sur lui ! grogna l’aînée entre ses dents. En plus, on est au bord de la mer, on n’a pas besoin de partir loin ! du regard elle soutenait sans ciller les yeux de sa mère.

De l’émotion, celle-ci se posa lourdement sur la première chaise à sa portée. 

Que leur prenait-il à tous deux ?

– Alors là, je ne comprends plus rien ! s’énerva le père. Vous êtes toujours en train de nous réclamer de partir en vacances et cette année vous ne voulez pas voyager ? C’est quoi le problème ? Qu’est-ce qui se passe ?

Le frère et la sœur s’interrogèrent du regard. Devaient-ils dire la vérité ?

Lilou se lança :

– C’est-à-dire… 

Arthur la relaya :

– Eh bien, il y a un festival de trois semaines entières à la Blachère cet été et on voudrait y aller.

Les parents froncèrent les sourcils. C’était ça, la raison pour laquelle ils balayaient leurs vacances d’un même mouvement ? Un festival !

- Tu comprends, s’anima soudainement leur aînée, il va y avoir des tas d’artistes : Dadju – Maître Gims – Soprano…

– Angèle – Vitaa et Slimane… continua son frère.

Changeant subitement de tactiques, ils laissèrent tomber leurs visages renfermés et devinrent enjôleurs.

– En plus, c’est super, on pourrait y aller tous ensemble et dormir au camping de Lydie et Thierry, vous pourriez les voir comme ça ! Même Voyou pourrait venir… ils étaient suspendus aux lèvres de leurs parents attendant leurs décisions.

– Ah OK ! C’est pour ça alors ! le père releva l’info, peu convaincu. Ils étaient gonflés de refuser toutes leurs propositions simplement pour leur plaisir personnel.

– Ça ne serait pas plus tôt parce qu’Antoine habite vers là-bas, par hasard ? les yeux plantés dans ceux de sa fille, la mère attendait la réponse avec intérêt.

– Qui c’est Antoine ? le père atterrissait. Comme d’habitude il n’avait pas entendu que leur fille discutait sur Snapchat avec un Antoine depuis quelques semaines et qu’elle rêvait de le rencontrer. Hein, c’est qui ? Il regardait Lilou, interrogatif, attendant des explications.

Lilou, très gênée, se tortillait sur sa chaise sans répondre.

– C’est son amoureux ! pouffa Arthur.

– Tais-toi ! dit-elle à son frère en lui assenant une calbote sur la tête.

– Eh ! Ne me tape pas ! fit-il en repoussant sa main.

– Et toi, ta raison ? demanda le père à son fils. Tu as une petite copine que tu dois voir aussi ? le sourire narquois à l’intention des ados, il les contemplait l’un, l’autre.

– Pfft ! N’importe quoi ! Je suis pas comme elle, moi, je veux vraiment aller au festival…

Lilou et Arthur se poussaient mutuellement de leur chaise, s’invectivaient. Ils allaient bientôt en venir aux mains.

– Bon, ça suffit maintenant, assez ! la mère venait de taper du poing sur la table, ce qui eut pour mérite de les faire tous taire. On partira en vacances comme d’habitude ! POINT FINAL !

– Votre mère a raison ! Nous partirons comme chaque année et puisque vous n’y mettez pas du vôtre, c’est nous deux qui choisirons !

Les ados se levèrent d’un bond, en maugréant tout bas. Ils avaient perdus. Ils le savaient, mais Lilou n’avait pas dévoilé tout son jeu et elle avait bien l’intention de voir Antoine, quoi que ses parents disent !

La mère observait sa fille. La connaissant, elle savait qu’elle allait leur donner du fil à retordre. Leurs enfants s’entendaient bien sur ce coup pour les faire fléchir, alors qu’habituellement c’était la guerre en eux.

Corinne Christol-Banos – Copyright 2020

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