ELLE, la mer

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Piste d’écriture : Écrire avec tous ses sens

Aujourd’hui, on va à la mer !

Je suis tellement impatient d’arriver à la plage que j’ai littéralement embarqué les affaires de la famille dans le coffre de notre vieux Ford break sans demander leur avis aux unes ni aux autres. Maman m’a fait les gros yeux lorsque j’ai jeté sans cérémonie le sac de ma sœur à l’arrière du véhicule. Mon aînée geignait et râlait à propos de tout, prétextant que le temps n’était pas à la bronzette.

Moi, je suis prêt !

En fait, je suis prêt depuis plus d’une semaine quand maman a annoncé à la cantonade que chaque mardi nous irions pique-niquer en bord de mer.

Mon short de bain neuf sur les hanches, l’épuisette achetée la veille à Décathlon pour la pêche aux crabes à la main et des sandales en plastique transparent aux pieds pour ne pas me blesser sur les rochers, je trépigne en attendant que les filles (maman et ma sœur) veuillent bien monter dans la voiture.

Enfin, nous arrivons. Il est presque 10 heures et déjà le parking est complet. Je m’exaspère pendant que nous cherchons désespérément une place. À ce rythme-là, nous serons sur la plage en fin de matinée !

Finalement, quelques instants plus tard, je goûte enfin au plaisir de sentir le contact du sable entourant mes pieds, des grains s’infiltrant entre mes orteils.

Nous nous arrêtons, surpris. La plage est relativement déserte, contrairement à ce que laissait supposer le parking. Je comprends très vite pourquoi. Alors que dans l’arrière-pays le soleil était présent, ici de gros nuages gris courent dans le ciel bas, et un vent frisquet nous fait frissonner lorsqu’il nous effleure les bras.

Ma sœur se remet à râler. Elle prend à témoin maman et lui demande de partir. Maman me regarde et lit dans mes yeux toute ma déception. Elle hésite un instant, puis décide de rester au moins une heure en attendant de voir si le temps devient plus clément. Je saute de joie et lui plaque deux baisers sonores sur les joues.

Au fur et à mesure que nous avançons sur le sable, nous constatons les vagues se battant les unes contre les autres à chaque ressac. Elles sont relativement puissantes et complètement inattendues, ici en Méditerranée. La mer habituellement calme laisse la place à une furie voulant décourager les ambitieux.

Je laisse tomber le seau et l’épuisette, dégoûté. Maman me confirme ma crainte, il est hors de question d’aller sur les rochers avec cette mer déchaînée. Ma sœur jubile et demande encore une fois à rentrer. Elle se laisse choir lourdement sur le sable lorsqu’elle comprend que nous restons malgré le temps.

Très peu de personnes osent s’aventurer dans l’eau. Le drapeau du poste de secours est orange, nous signifiant un danger. J’avance jusqu’au bord et laisse l’onde envelopper mes pieds. Quelle surprise ! Elle est chaude. Alors qu’à l’extérieur le vent nous incite à conserver nos vêtements, la température de l’eau nous invite à la baignade.

Je convainc les filles de venir avec moi. Quelques aventuriers nous imitent et nous voilà, petite dizaine de personnes, à pénétrer dans cette mer de la couleur du ciel. Nous avons de l’eau jusqu’aux genoux mais les vagues, de plus en plus fortes, nous font chanceler et nous sommes rapidement entièrement mouillés. Ma sœur oublie ses griefs contre le soleil qui refuse toujours de s’échapper des nuages et nous avançons, bousculés par les vagues qui nous fouettent, nous font tanguer. Nous rions aux éclats.

Je sens un chatouillement contre mes mollets et me penchant, j’aperçois un banc de poissons de toutes tailles se faufilant au milieu des nageurs. Leurs écailles gris argent scintillent. Ils virevoltent comme un feu follet et prennent plaisir à tutoyer les jambes de chacun d’entre nous. Ma sœur pousse des cris stridents comme si sa vie était en danger. Elle ressort de l’eau en grandes enjambées précipitées, ressemblant à un échassier maîtrisant mal ses longues pattes.

Maman et moi nous restons, nous amusant à sauter le sommet des vagues avant qu’elles nous ensevelissent de leur écume. Parfois, une lame plus haute que la précédente nous surprend et nous voilà projetés lamentablement sous elle. Nous nous relevons en riant et repartons à perdre haleine à l’assaut de la nouvelle vague qui s’annonce déjà.

Peu de personnes viennent nager au milieu de ce magma rugissant et nous regardent de loin, certains plus inquiets que d’autres. Il y a même le maître-nageur qui nous contemple et nous observe, prêt à intervenir.

Le goût du sel envahit ma bouche et je lèche avidement de ma langue pointue ce dépôt aigrelet que j’adore. Mes cheveux sont hérissés au sommet de mon crâne et mes yeux me piquent. Le vent nous projette une myriade de gouttelettes d’eau. Je m’en délecte. Je réajuste mon short. À chaque assaut, il manque descendre. Maman rit de me voir si heureux. C’est un moment de pur bonheur. Je ressens ce déchaînement de violence mouillée avec reconnaissance. C’est comme si chaque vague, chaque frappe, me libérait d’un poids, me lavait de l’intérieur.

Nous sommes au paradis malgré le peu de soleil, le vent siffle à nos oreilles dès que nous nous posons sur le sable. Cette journée est magique. Nous la passons dans l’eau à nous faire violenter par cette eau diabolisée. Elle nous irradie, nous transforme en colibris s’envolant au-dessus d’elle.

Nous ne faisons plus qu’un avec elle. Nous sommes ELLE.

Corinne Christol-Banos – Copyright 2020

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