Piste d’écriture : Une rencontre surprenante
Sa cravate était aussi pourpre qu’un coucher de soleil. C’est ce qui me sauta aux yeux dès que je le vis. Pourtant la couleur de sa cravate était, de tous ses vêtements, l’élément le plus neutre de sa tenue. En le regardant des pieds à la tête, je notai les nuances qu’il osait et qui faisait de l’ensemble un capharnaüm multicolore. Chemise jaune poussin, veste et pantalon bleu canard, mocassins orange amère. Et pour impacter le tout, il tenait à sa main gauche une sacoche rouge sang.
Je me détachai difficilement de ses détails hétéroclites pour enfin le fixer dans les yeux. Mon client attendait patiemment la fin de mon inspection, et je rougis en rencontrant son regard noir. Je ne m’étais pas aperçue de mon insistance à le détailler ainsi et le fait qu’il le remarquât m’incommoda quelque peu.
Yeux bleus dans yeux noirs, je constatai qu’il était black. Tellement captivée par les tons de ses vêtements, je ne l’avais point remarqué. J’allais lui serrer la main qu’il me tendait avec distinction lorsque j’aperçus un détail qui me troubla : sur sa cravate, un flamant rose me lorgnait, fiché sur une patte et s’engluant dans ce qui semblait être un étang boueux !
Cela finit de me déstabiliser. Je ne pouvais plus regarder mon client sans avoir l’impression que le palmipède interviendrait, à un moment ou à un autre de notre conversation.
Je m’obligeai à me concentrer et dirigeai Monsieur Mavounzy dans le dédale des bureaux. Je sentais peser son regard, planté dans ma nuque. Une fois à l’intérieur de la salle de réunion, mon professionnalisme reprit le dessus et j’attaquai l’ordre du jour. Je me forçai à ne pas laisser mon regard vagabonder vers le volatile, qui je le sentais, reprendrait son pouvoir sur moi si je lui en laissais la possibilité.
C’était incompréhensible !
Moi si cartésienne, je me trouvais ébranlée par un oiseau sur une cravate !
Il faut comprendre que la plupart de mes clients, pour ne pas dire tous, étaient plutôt du genre « classique ». Costume cravate dans des tons neutres. Rien de semblable à celui-ci. Je comprenais mieux ce qu’avait voulu insinuer mon patron lorsqu’il m’avait confié le dossier, en me disant :
– Caroline, Monsieur Mavounzy est un de nos meilleurs clients, prenez-en soin… n’oubliez pas les lunettes de soleil !
Il avait souri sur cette phrase ambiguë, et n’avait rien ajouté. Pourtant, je m’étais demandé ce que cela signifiait. Mon patron n’était pas homme à plaisanter et maintenant que j’avais fait connaissance avec ce monsieur, je trouvais cet humour malveillant voire raciste.
Notre entrevue touchait à sa fin, il signa les derniers documents que je lui présentais, et je lui proposai un café. En portant le liquide à sa bouche, quelques gouttes s’échappèrent de la tasse fumante et tachèrent sa chemise jaune poussin. Il râla. Je compris qu’il avait un autre rendez-vous juste après et aucune chemise de rechange. Je lui indiquai les lavabos afin de réparer les dégâts. Se levant, il enleva sa veste qu’il posa avec soin sur le dossier du fauteuil, puis dénoua sa cravate et la posa bien à plat sur le bureau.
Je me retrouvai seule, le flamant rose me fixant avec insistance de ses petits yeux jaunes. Je déglutis péniblement. Je ne comprenais pas pourquoi la représentation de cet oiseau sur la cravate de mon client me rendait pratiquement hystérique.
Pour m’occuper en attendant le retour de Monsieur Mavounzy, je classai les dossiers qui m’avaient servi durant notre réunion. Un craquètement, suivi d’un son inhabituel dans l’enceinte de la pièce, me firent relever la tête. Je cherchai d’où provenait ses bruits mais ne trouvai pas la réponse.
Soudain, quelque chose attira mon regard. Une ombre venait de se déplacer sur ma gauche. Je me retournai brutalement. Interdite, je lâchai les documents que je tenais et reculai jusqu’à ce que mon dos vienne percuter la photocopieuse. Sur le bureau, se déplaçant à sa guise, un flamant rose déambulait comme s’il était tout à fait normal de se matérialiser ainsi et de vagabonder sur le bureau de réunion de l’une des plus grosses sociétés de la région ! Je clignai des yeux, puis touchai mon front, persuadée qu’une fièvre subite m’avait envahie. Je fermai hermétiquement mes paupières, comptai lentement jusqu’à 10, puis précautionneusement, les ré ouvris. Je le cherchai. Rien.
Soulagée, je respirais à nouveau normalement lorsqu’un bruit de papier froissé me fit faire volte-face. Le flamant rose s’était posé sur le contrat signé par mon client. À présent, j’eus l’impression qu’il me narguait. Son corps tout entier rosé, ses pattes immenses d’échassier le faisant presque toucher le plafond, il occupait la totalité du plan de travail. De ses yeux citronnés il fixait les papiers puis me contemplait. Une espère d’attente s’installa durant laquelle je n’osais bouger de peur qu’il ne détruise les documents… Comme si mes pensées pénétraient son cerveau infiniment petit, il sauta sur le côté et de son bec recourbé se saisit des feuillets. Avant que j’aie pu intervenir, il prit son envol qui fut laborieux malgré la longueur de la salle, puis disparut par la vitre ouverte.
Je restai plantée là, à ne rien pouvoir faire. Mon Dieu… mais comment allais-je pouvoir expliquer cela ? Personne ne me croirait…
* * *
Le lendemain matin me trouva pâlie et cernée. Une atroce migraine tambourinait dans mon crâne en ébullition et je peinai à me lever. Lorsque le miroir de la salle de bains me renvoya mon image, je pris peur. Ma pâleur extrême, mon teint blafard, m’effrayèrent au point de me questionner sur mon état.
Que m’arrivait-il ?
Subitement, les images affluèrent en vagues toujours plus impressionnantes et je me rappelai les évènements de la veille. Quel affreux cauchemar ! Prise d’un énorme vertige, j’avais quitté précipitamment mon entreprise sous les yeux éberlués de mes collègues. Je n’avais pu attendre le retour de M. Mavounzy.
Comment pourrai-je lui expliquer ce qui s’était passé ? Il me prendrait pour une folle et il aurait raison ! Moi-même je ne me croirais pas, si je devais me le raconter ! Bon, il était temps de me reprendre en main, malgré l’envie irrépressible d’appeler mon travail pour leur annoncer que je ne pouvais venir en inventant un prétexte quelconque, mais mon sens des responsabilités et ma logique me motivèrent.
Lorsque j’arrivai au bureau, quelques personnes me demandèrent si je me sentais mieux, mais je pus gagner mon antre sans être à nouveau apostrophée. Je craignais avant tout la rencontre avec mon patron. Il allait me virer sur le champ, c’était certain.
Je m’affalais dans mon fauteuil, quand la porte s’ouvrit à la volée sur mon supérieur, tonitruant et réjoui.
– Bonjour Caroline, excellent travail avec M. Mavounzy, je vous félicite ! (M’attrapant la main, il me la secoua vigoureusement. Je le contemplai, hagarde, ne comprenant rien à ce qu’il me disait.) Alors, quand le revoyez-vous ?
– Pardon ?
– Eh bien oui, il faut qu’il ramène les pièces manquantes à ce qu’il m’a dit… c’est donc aujourd’hui, c’est ça ?
Complètement perdue, je restai muette. Cela ne gêna nullement mon employeur qui partit comme il était arrivé, ravi et comblé par la signature du contrat. Mon mutisme ne l’interpella pas.
Quelques instants plus tard, mon assistante m’avertit que mon client m’attendait dans le hall d’entrée. Prise de panique, je ne savais comment me comporter. Dès qu’il pénétra dans mon bureau, je remarquai sa cravate. À la place du flamant rose, c’était aujourd’hui un troupeau de bisons qui tenait le centre du décor. Affolée, je regardai autour de moi. Devais-je m’attendre à ce qu’un troupeau de ces bêtes énormes et éructantes fassent irruption dans les locaux de l’entreprise et fracassent tout sur leur passage ?
Je me repris. Si mon client était devant moi aujourd’hui pour m’apporter des pièces complémentaires comme me l’avait affirmé mon patron, c’est que tout c’était bien passé la veille. Mon délire était dû à un gros coup de fatigue. J’avais mon explication. Elle était rationnelle.
Notre entrevue se déroula parfaitement bien, M. Mavounzy ne faisant aucune allusion au contrat volé par un oiseau ni à mon départ précipité. Je me détendis et arrivai même à plaisanter. Juste avant de partir, il me tendit une enveloppe en me précisant qu’elles contenaient les pièces nécessaires au dossier. Je la pris en le remerciant, et le raccompagnai.
Les portes de l’ascenseur se refermèrent sur un client satisfait des négociations. Je souris, fière de moi, j’avais vaincu mon malaise et admis que le stress m’avait fait inventer toute cette histoire insensée.
Je rentrai dans mon antre, posai l’enveloppe sur mon bureau. Un détail insignifiant m’intrigua. Dans le coin gauche du papier kraft, un petit symbole s’affichait. Je me penchai davantage pour comprendre de quoi il s’agissait. Je me servis d’une loupe pour agrandir le motif. D’un mouvement sec, je me redressai, tremblante.
Dans le coin de l’enveloppe, figurait un flamant rose. Lorsque je l’observai avec minutie à travers le verre grossissant, je vis distinctement la mimique du volatile. Il me fit un clin d’œil !
* * *
Chers lecteurs,
Que pensez-vous qu’il se soit réellement passé ? Caroline a-t-elle imaginé tout cela ou bien y-a-t-il une part de vérité dans les évènements qu’elle croit avoir rêvé ?
Je vous invite à me proposer dans la partie commentaire, la fin que vous souhaiteriez et je me ferais un réel plaisir de l’écrire.
À très vite…
Corinne Christol-Banos – Copyright 2021
Caroline toujours aussi livide courut aux toilettes vomir.
Ses collègues inquiètent pour elle, l’incitèrent à consulter un médecin.
Sophie de la comptabilité qui est sa meilleure amie, se proposa de l’emmener.
En route, Caroline osa lui raconter son histoire loufoque. Sophie est un peu médium et elle était sûre qu’elle ne la jugerait pas. Mais plus Caroline racontait ses mésaventures, plus Sophie souriait. Caroline fusilla son amie du regard, très déçue par son comportement. Sophie toujours aussi joviale s’arrêta sur le bord de la route.
« Tu connais la symbolique du flamant rose ? »
Caroline ne comprenait plus rien…
Sophie lui appris que du point de vue spirituel, le flamant rose sur une patte est un très bon présage. Cela veut dire qu’une bonne nouvelle va te parvenir.
Caroline regardait son amie avec une moue désespérée. Elle ne comprenait rien.
Sophie riait à présent.
« Tu ne comprends toujours pas ? »
« Caroline tu es enceinte ! »
Caroline était furieuse à présent.
Sophie savait bien que c’était impossible. Caroline avait arrêté les FIV depuis 3 ans et s’était fait une raison avec Paul son mari : ils n’auraient pas d’enfants.
Il y avait à présent un silence de mort dans la salle d’attente du médecin. Entre les deux amies, il y avait une gêne.
Tout d’un coup le médecin fit rentrer Caroline dans son bureau. Il avait les résultats de sa prise de sang…
Le flamant rose avait raison 🙂
Voilà une fin à laquelle je n’ai pas songé 🙂
Bravo !
Farceur ce flamant rose ! J’ai bien aimé le côté humoristique de cette nouvelle !