Le veinard

Corinne-Christol-Banos-le-veinard-Nouvelle

Piste d’écriture : inventer une histoire en employant le « tu »

Tu as 10 ans, tu portes ta robe blanche à rayures roses que tu affectionnes particulièrement, et le soleil d’août brûle ta nuque au travers de tes longs cheveux cendrés.

Ta mère et ta grand-mère cuisinent côte à côte, la radio est allumée et leurs voix claires chantent à tue-tête « Comme d’habitude », le tube actuel. Tu es attelée à tes devoirs sur la table de la cuisine et tu ris de les voir si complices, heureuses.

La sonnette de la porte d’entrée retentit, interrompant cet instant de cohésion familiale. Sur le seuil, vos voisins, Cédric et son père. Ils vous sourient et vous expliquent le pourquoi de leur venue. Ils ont dans leurs mains un petit moineau tombé du nid. Leur chien de chasse l’a trouvé lors de sa promenade et l’a rapporté dans sa gueule sans le blesser. Ne sachant que faire de cet oisillon, ils ont pensé à vous pour s’occuper de lui, puisque vous possédez une volière avec plusieurs couples de canaris. Le petit veinard ne pourrait plus vivre dans le nid, sa mère le rejetterait instantanément.

La joie t’inonde en songeant à ce tout petit être que tu vas devoir soigner ! Tu trépignes, tu supplies ta mère pour qu’elle accepte de le prendre, lui sautes au cou lorsqu’elle dit oui en soupirant. Le veinard n’a que quelques plumes sur le corps, ses yeux sont encore fermés attestant de son tout jeune âge. Il pépie lamentablement, quémandant à manger. Le bec ouvert il mordille tout ce qu’il touche, vos doigts, le mouchoir dans lequel il est enveloppé.

Ta mère te serines :

« Tu dois t’en occuper, le soigner, le nourrir, t’assurer que nos canaris ne lui fassent pas de mal ! Tu as compris ? »

Il est évident que tu es prête à accepter tous les compromis pour le garder !

À partir de cet instant, te voilà responsable d’un autre être que toi. 

Tu lui aménages un coin bien à lui au fond de la cage, en lui confectionnant un nid à base de coton et de morceaux de tissu. Au fil des jours, tu lui donnes la becquée à l’aide d’une seringue trouvée dans tes affaires d’enfant. Tu lui concoctes un mélange de mie de pain trempée dans du lait. Il adore ! Il mange goulûment, même la nuit ! 

Les semaines passent. Les pépiements sont de plus en plus forts pour te réclamer sa pitance. Les plumes sont venues recouvrir son frêle corps et il a beaucoup grandi.

Tu vas le garder une année entière. L’amadouer, le chérir, le cajoler. Tes autres oiseaux sont jaloux de l’attention que tu lui portes. Lorsque sa taille dépasse celle de tes canaris, il fait à présent le double d’eux, il commence à se battre avec les mâles pour obtenir les faveurs des femelles.

Ta peine est immense. Ta mère t’explique qu’à présent il est adulte et que sa place n’est plus dans une cage mais en liberté ! Tu sais qu’elle a raison, mais tu la supplies pour qu’elle change d’avis.

Malgré ton chagrin tu te ranges à sa décision et un matin de printemps, tu l’attrapes entre tes mains, tu lui fais un bisou sur sa tête emplumée, tu poses tes mains sur le bord de la fenêtre puis tu les ouvres. Il reste quelques instants immobile, étonné. Enfin, il prend son envol et file vers la liberté. Il fait plusieurs passages devant toi, puis s’en va vers son destin.

* * * 

Tu as 11 ans, c’est l’été, tes cheveux sont un peu plus court. Tu joues sur la terrasse lorsque subitement le pépiement d’un oiseau te fait redresser la tête.

Un beau moineau s’est posé sur le rebord de la fenêtre. Il te regarde en tournant sa frimousse de tous les côtés. Ses petits yeux ronds clignent plusieurs fois.

C’est lui.

Corinne Christol-Banos – Copyright 2020

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