Ils travaillent dans un collège. Leur métier ? Surveillants.
L’ambiance y est survoltée, électrique et électrisante. À l’heure de la récréation, les élèves courent, crient, se bousculent, se cherchent, se tapent et quelquefois se font mal.
Les surveillants sont sur le qui-vive. C’est un jour comme un autre et pourtant le bruit court qu’il va y avoir « baston » à 10 h. Ils savent qu’ils vont devoir intervenir.
Ils circulent parmi les élèves, observent, restent vigilants. Un attroupement se forme au fond de la cour. Ils y vont rapidement. Lorsqu’ils arrivent, les élèves les reconnaissent. Ils s’écartent, les laissent passer, pénétrer au cœur du conflit. Ils se taisent, les écoutent parler, beaucoup les respectent, d’autres non.
La tension est palpable, à couper au couteau. Le moindre mot de travers et l’altercation reprendra. Ils discutent avec les deux idiots semblables à de jeunes fauves. Ils se font face, prêts à aiguiser leurs crocs. Au plus petit ricanement du rival, ils se jetteront l’un sur l’autre, toutes griffes dehors. Autour d’eux, les paris sont lancés et les esprits s’enflamment. Ils se toisent du regard. Se jaugent. Les insultes fusent.
Les surveillants ne faiblissent pas, ne renoncent pas. Cela va être compliqué de leur faire entendre raison mais il est hors de question de les laisser s’affronter.
Ils savent se faire obéir même dans les situations extrêmes, leurs seules présences suffisant à apaiser les tensions la plupart du temps.
Ils resteront avec les élèves un moment, autant qu’il le faudra même si cette confrontation les épuise. Ils ne s’arrêteront que lorsqu’ils seront certains que l’affrontement n’aura pas lieu. Ils s’interposeront physiquement si cela s’avère nécessaire. Cette barrière symbolique est importante car elle signifie aux élèves qu’ils ne permettront pas « la baston » programmée.
Ils emploient l’humour comme arme de défense et cela fonctionne. Les autres élèves, témoins de la scène, rigolent et la tension retombe. Le cercle se dissout enfin. Ils ont accepté l’autorité et se dirigent à présent vers leurs salles de cours.
Lorsqu’ils sont sûrs que tout est rentré dans l’ordre, ils partent à leur tour.
Les surveillants réintègrent la vie scolaire, leur fief, le cœur du collège. Toutes les infos circulent, sont brassées. Ils débriefent sur l’action menée dans la cour, optent pour rester vigilant lors de la prochaine sortie, préviennent leur hiérarchie.
C’est un métier prenant, passionnant et épuisant. Il nécessite de l’empathie, de la discrétion et de la réactivité. On ne vient pas à ce travail anodinement. Le contact avec les ados, l’échange, la relation de confiance créée sont autant de bénéfices personnels. Si l’on ne possède pas les qualités requises pour travailler auprès de ces jeunes, on ne s’aventure pas dans cette direction.
Ils sont toujours présents pour les élèves qui le désirent, qui demandent de l’aide ou des conseils.
Demain sera un autre jour. Il faudra recommencer, être à nouveau vigilant.
Ce n’est pas grave, c’est nécessaire. C’est leurs jobs, ils sont pions.
Corinne Christol-Banos – Copyright 2019