Dans cette nouvelle, je me suis amusée à reprendre une partie de mon roman « LA PARURE OUBLIÉE » et à l’écrire sous un nouvel angle.
Ce matin-là, je me souviens avoir été réveillée par le téléphone. Un coup d’œil à l’écran lumineux posé sur mon chevet, m’indiqua 5 heures du matin. Les chiffres jaune fluo agressaient mon cerveau endormi et je pris le temps, avant de décrocher, de jeter un regard désabusé au ciel bas et menaçant, apparaissant entre les lattes du store de ma chambre. Déjà, je détestai la personne qui me tirait du sommeil à une heure si matinale.
J’émergeai complètement lorsque je lus le nom de mon père sur mon portable. Au souvenir des mots, mon corps fut parcouru de frissons :
« Ta mère est très malade. Rentre au plus vite. »
Les sentiments ressentis alors, me bouleversent encore. J’imaginai ma mère allongée sur son lit, agitée de soubresauts, des rictus déformant son beau visage et me souriant vaillamment en m’apercevant à ses côtés.
Comment allai-je faire pour me contenir, ne pas pleurer, ne pas m’écrouler ?
Mais revenons à ce matin de juin :
« Mon avion atterrit à l’heure. Ce fut un ouvrier de notre propriété qui vint me chercher. Ce n’était pas du tout l’habitude de mon paternel de se soustraire ainsi à ses responsabilités. Cela me perturba.
Lorsque j’arrivai au domaine, ma gouvernante Eugénie me serra à m’étouffer sur ses seins volumineux. Elle refusa obstinément de me dire quoi que ce soit sur la santé de ma mère en évitant de croiser mon regard. Je la revois, plantée fermement sur ses jambes, les bras sur sa poitrine et ne plus prononcer un mot. Que cela signifiait-il ?
De plus en plus angoissée, je m’apprêtai à monter les marches desservant l’étage lorsque j’entendis les voix de mon père et du médecin. Ils descendaient vers moi. Le regard que me lança Robert, mon paternel, me tétanisa. Je ne sais pas pourquoi mais à cet instant, je me mis à fixer les rayures de son pantalon de flanelle et les couleurs s’y mélangèrent au gré de mes yeux qui tressautaient nerveusement.
Je remarquaique ses mains habituellement si calmes, se tordaient, se serraient sans cesse. Il était pâle et ses traits tirés accentuaient le teint terreux de son visage. Il n’avait pas beaucoup dormi ces derniers jours. Son apparence négligée laissait supposer qu’il avaitveillé Lili toute la nuit. S’occuper d’une malade, même s’il s’agissait de son épouse adorée, n’était pas vraiment son for. Il m’embrassa distraitement sur le front.
Je devinaiquela discussion entre le médecin et mon père étaitpour le moins orageuse. Malgré le désaccord évident de ce dernier, le médecin se tourna vers moi et m’annonça tout de go :
« Votre mère est atteinte de schizophrénie ! »
Il m’aurait affirmé qu’elle s’apprêtait à sauter en parachute, là, tout de suite, que je n’aurais pas été plus abasourdie !
Schizophrénie ! Comment était-ce possible ? Je ne suis pas médecin mais je sais que cette pathologie apparaît en général à l’adolescence ou tout du moins, au début de l’âge adulte. Hors ma mère allait avoir 60 ans le mois prochain.
Le bois de la rampe qui couvre le garde-corps de l’escalier s’envolant vers l’étage,conserve encore le souvenir de mes ongles. Je perdis contenance. Tremblante et suffocante, j’essayai de me recomposer un visage après ce diagnostic perturbant.
Une urgence me saisit. Je me précipitai au chevet de ma mère. J’avais besoin de constater par mes propres yeux son état de santé.
Lorsque j’arrivai près de Lili, je fus atterrée. Son aspect chétif au teint quasi transparent, son corps allégé de plusieurs kilos, je ne reconnus pas ma mère. Mais au fil des jours, ce fut son comportement totalement à l’opposé de son habituelle douceur qui me choqua plus que tout. Ma mère s’était métamorphosée.
Comment vous expliquer ? Elle n’était plus la Lili que tout le monde connaissait, douce et attentive envers ses proches. Une personnalité différente transparaissait de plus en plus en une douloureuse évidence, corroborant malheureusement le diagnostic du médecin. Notre Lili, à l’écoute de tous, devenaitfrivole et superficielle. Le léger parfum de muguet avec lequel elle se parfumait depuis des années, remplacé par une senteur agressive et tenace. Les tenues aériennes aux tons discrets, échangées au profit de robes moulantes et vulgaires. Ses ongles habituellement sans apparat, teintés d’un rouge agressif. Lorsque j’essayais de lui parler, elle éclata d’un rire futile. Bref, notre Lili n’était plus !
Après l’avoir trouvé faible et éteinte dans son lit, une autre Lili apparut au fil des jours prenant la place de la femme que nous connaissions tous.
Schizophrénie ! Le médecin n’avait que ce mot à la bouche. Il n’envisageait aucune autre possibilité.
À mon contact, la nouvelle Lilise dévoila et j’aperçusson autre personnalité avec une acuité douloureuse, qui m’obligea à enquêter. Je ne pouvais pas admettre qu’elle se transforma ainsi, douce un instant, violente et agressive, l’instant suivant.
Nous passâmes beaucoup de temps ensembleet elle me confia qu’elle fréquentait un groupe avec lequel elle pratiquait la relaxation. Je m’en réjouis et l’accompagnai à une séance. Je sortis bouleversée de cette expérience. Cela devait me hanter tout au long de ma vie.
Lorsque je rencontrai pour la première fois la prof, au lieu d’une femme calme et sereine, peut-être un peu « baba cool », je trouvai une personnalité inquiétante, une sorte de gourou, très loin de ce que l’on peut attendre d’une personne enseignant la détente.
Dès notre rencontre, son attitude fourbe et ses regards chafouins m’inquiétèrent. Je restai sidérée devant l’adoration évidente de Lili envers cette femme qu’elle connaissait seulement depuis quelques semaines. Le cours débuta et je m’accordai au groupe pour cette séance. Le comportement de la prof envers ses « adeptes » fut très instructif. Elle passait dans les rangs et caressait leurs cheveux comme elle l’aurait fait pour un enfant agité, en insistant sur le front, comme pour laisser son empreinte. Lorsqu’elle arriva à ma hauteur, je fis un mouvement de la tête pour éviter sa main. Le rictus qui déforma sa bouche en révéla beaucoup sur sonêtre profond. Un pincement me saisit au ventre et une désagréable impression, m’envahit.
Ce qui se passa à la fin du cours, finit de me convaincre entièrement. La « gourou » versa une tisane à chacune des personnes, moi y compris, sans que quiconque ne s’y opposa. La couleur verte du breuvage ainsi que son parfum nauséabond, me dissuadèrent d’y toucher. Malgré mes mimiques à l’intention de ma mère, Lili but le liquide jusqu’au bout. De mon côté, je versai discrètement la tisane annoncée bienfaisante, dans une plante posée près de moi qui absorba goulûment la boisson. J’observai avec inquiétude le changement qui s’opérait sur les personnes présentes. Je constatai avec effarement, l’effet que la substance avait sur eux. D’abord léthargiques, les initiés se transformèrent vite en un groupe bruyant, agité, désinhibé, sous le regard approbateur de leur prof. Je surpris Lili qui changeait de tenue dans les vestiaires. Elle était arrivée vêtue d’un legging et d’un tee-shirt discrets et enfilait à présent une tenue provocante de cuir rouge. Elle n’avait plus aucun complexe, plus de retenue et se moquait de ce que les gens pouvaient penser d’elle… un peu comme si tout ce qui était important à ses yeux jusqu’à présent, n’existait plus.
Je ne comprenais pas ce qui arrivait à ma mère, mais ce que je savais, c’est que la prof « gourou » et son breuvage bienfaisant étaient responsables de ces changements.
Schizophrénie ? Vraiment ?
Je m’enfuis très vite du club sans demander mon reste… je m’occuperai de ma mère plus tard.
Corinne Christol-Banos – Copyright 2022