Mon ailleurs…

Ne pas voir… Vous n’avez que ces mots à la bouche, tous, depuis que je suis petite.

Il fallait ne pas voir la voisine taper son enfant pas comme les autres, cet enfant joyeux et rigolo avec son comportement inadapté, sa joie de vivre de « simplet » comme ils disent. Il fallait ne pas voir ces personnes dans la rue mendiant leur souper d’une main salie par la vie. Il fallait ne pas voir l’eau de la rivière se teinter de couleurs criardes, tantôt jaune, parfois rouge, au gré des humeurs de l’usine de notre ville. Toujours ne pas voir !

Mais pourquoi ? Moi JE VEUX VOIR !

Je veux voir ces gens qui m’entourent, dissemblables de moi : les aléas du temps passé les forgeant inégalement. Je veux voir le ciel noirci de nuages emportés orageusement par le vent d’autres contrées. Je veux voir les différentes façons de vivre, distinctes de la mienne, ou plutôt devrais- je dire : distinctes de la leur !

Je veux ! Oui je l’affirme haut et fort : JE VEUX !

Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’agir comme je l’entends, de vivre comme je l’espère, d’écouter comme je le souhaite ?

Tout ça parce que des personnes de mon entourage décident pour moi ? Veulent m’imposer leurs lois, leurs critères, leurs choix ?

Ce ne sont pas les miens et même si je suis toute jeune encore, je sais ce que je veux, mais surtout je sais ce que JE NE VEUX PAS !

Je ne veux pas fermer les yeux sur la misère du monde. Je ne veux pas vivre comme une vieille aigrie : sans espoir, sans joie, sans secrets ! Je ne veux pas me regarder un jour dans le miroir en me demandant : Qu’ai- je fait de ma vie ?

Je souhaite vivre librement, sans attaches, sans liens, sans carcans. Je souhaite jeter aux orties ce corset qui entoure ma taille et enserre ma vie à l’étouffer. Je souhaite m’amuser, danser, rire, pleurer, courir, voler ! Pourquoi pas ?

Pourquoi devrais-je m’enfermer dans une boite étiquetée où les fenêtres, les ouvertures sont recouvertes de papier huilé empêchant le soleil de pénétrer mon corps, mon âme ?

Je veux que le soleil danse sur moi sa farandole endiablée, que ses rayons chatouillent mon corps d’énergies positives, de douceurs méditerranéennes. Que les oiseaux frôlent mes cheveux de leurs ailes emplumées, que les grenouilles se baignent à mes côtés dans une eau claire et propre. Je veux sentir l’eau de la pluie ruisseler le long de mon cou, mouiller mes vêtements, tremper mon esprit.

J’espère que des mains masculines me toucheront et pas seulement dans mon cœur. J’espère que l’amour éprouvé durera le temps que je voudrais et pas toute une vie comme les gens de la bonne société l’exigent. J’espère que mes enfants, si j’en ai, oseront me contrer si j’abuse de mon pouvoir de mère. J’espère que je ne serai pas une petite vieille empoisonnant son entourage sous prétexte que l’on me doit le respect dû à mon grand âge.

Je souhaite voyager : en train, en voiture, à cheval, à pieds. Sauter d’un avion en parachute ; grimper l’Everest ; plonger d’une falaise au fin fond du monde…

Je souhaite pouvoir dire « Merde » à la personne qui le mérite sans avoir à me soucier du « qu’en dira-t-on » !

Pourquoi n’en aurais-je pas le droit ?

Sous le prétexte de me tenir comme une personne « de mon rang » je devrais laisser à l’abandon mes désirs les plus fous, mes souhaits les plus profonds ?

NON ! Je ne le veux pas ! Je ne le ferais pas !

Même si pour cela je dois couper les fils qui me retiennent à ma vie de jeune fille « comme il faut ». Même si pour cela je dois me jeter par la fenêtre de ma chambre pour m’enfuir loin de ces idéaux qui ne sont pas les miens. Oui je le ferais, j’y serais obligée !

Lorsque je contemple les autres filles de mon âge et que je les vois acquérir le comportement que l’on attend d’elles, j’ai envie de hurler. J’ai envie de les attraper, de les secouer, de leur faire comprendre qu’elles adoptent un mode de vie qui n’est pas le leur. Qu’elles valsent droit vers le mur, que ce mur est impitoyablement gigantesque, dur et qu’il les fera tomber au sol, se briser comme de la porcelaine et comme de la porcelaine, fragiles, elles ne pourront se relever.

La vie, MA VIE, c’est moi qui la déciderait !

Je n’en ai qu’une et je l’espère la plus libre et vibrante possible. Un extraordinaire kaléidoscope de couleurs semblables à un arc-en-ciel après la pluie. Une profusion de senteurs exotiques, de parfums doucereux, de plats épicés aux aromates inconnus.

Je souhaite des rencontres avec des gens : blancs, noirs, caramels, corsés comme les arômes d’un café venu d’un pays lointain.

Je veux entendre les sons d’une cithare, écouter les larmes d’un violoncelle entre les mains d’un musicien, frissonner sous les cris d’un Fado déchirant. Je veux voir les jupons d’une danseuse de flamenco, les pieds d’une africaine sur son sol aride. Je veux entendre les rires des enfants de mon quartier lorsqu’ils courent après le marchand de glaces.

Je veux être là où mon corps voudra se rendre pour vivre pleinement.

Enfin, je me souhaite l’amour avec un grand A, le bonheur avec un grand B, l’alphabet en totalité tel que je le rêve pour mon ailleurs.

Corinne Christol-Banos – Copyright 2021

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