Piste d’écriture : Poursuivre le dialogue du texte « Quelqu’un avec qui courir », de David Grossman, Les éditions le Seuil – 2003
– Compte-les bien, dit un des jeunes en faisant rebondir un ballon tout près du pied de Matsliah. Compte-les bien, des fois qu’on t’en vole.
Il faisait allusion aux étoiles que le garçon ne cessait d’étudier.
Il fit rebondir le ballon encore une fois près du pied de sa victime puis l’attrapa à deux mains et d’un geste prompt le lança sur le dos de Matsliah avant de partir d’un rire gras devant son sursaut. Ses potes se moquèrent eux aussi, puis lassés de l’attitude statufiée du garçon s’en allèrent sans plus le regarder.
– Pourquoi tu te laisses faire ? demanda Assaf. Matsliah se cachait la joue et courbait l’échine, vaincu.
– Hein ? Pourquoi tu leur réponds pas ? réinterrogea son copain.
Matsliah releva la tête et daigna enfin jeter un coup d’œil vers ses tortionnaires qui s’éloignaient en ricanant. Il regarda Assaf et haussa les épaules.
– Psst ! Pour quoi faire ? Ils sont idiots de toute façon. En les ignorant, à force ils s’arrêteront de m’embêter.
Il se dandinait d’un pied sur l’autre et d’un geste inconscient frotta sa joue parcheminée.
– Tu sais, je les connais bien, marmonna Assaf entre deux mastications de chewing-gum. Ils crèchent à côté de ma daronne et ils te lâcheront pas si tu fais rien !
– Et qu’est-ce que tu veux que je fasse, hein ? T’as une idée ?
Assaf fit non de la tête.
– Tout ce que je dis moi, c’est pour toi !
Exaspéré par cette conversation qui ne lui servait pas, Matsliah rassembla les bouquins sur la création de l’univers et des galaxies, sa passion, qu’il avait amenés à l’intention de son copain. Les jeta d’un geste rageur dans son sac et s’en alla.
– Attends mec, pourquoi tu pars ? Et tout ce que tu devais m’apprendre alors ?
– Une prochaine fois… grogna-t-il pour lui-même.
Il planta là le pauvre Assaf, déçu de l’attitude de son pote.
Chaque fois qu’il était perturbé Matsliah frottait sa joue « de papé ». C’est ainsi que sa mère désignait tendrement la blessure sur le visage de son fils. Il passait sans cesse sa main dessus comme s’il était possible de la faire redevenir lisse.
Lorsqu’il arriva au carrefour à deux pas de chez lui, il aperçut un attroupement. Quelqu’un était couché à même le sol, au milieu de la route. En s’approchant, il reconnut le garçon au ballon qui le persécutait depuis des semaines. Celui-ci, allongé sur le dos, se tenait la jambe gauche en hurlant. Le pantalon déchiré laissait apparaître une plaie par laquelle le sang coulait abondamment. Une hémorragie commençait à noircir de sa couleur rouge sombre la chaussée.
Un homme, portable à la main, apparemment le conducteur responsable de l’accident, appelait les pompiers tandis que témoins et copains ne savaient que faire. Tout ce petit monde avait son mot à dire sur la façon d’aider le blessé, mais personne n’agissait pour stopper l’hémorragie de sa jambe.
Oubliant ses griefs, Matsliah se précipita vers lui, jeta son sac et prenant l’écharpe autour du cou de celui-ci fit un point de compression sur la plaie. Il appuya de toutes ses forces pour que le sang cesse de couler.
Le garçon le repoussa violemment.
– Dégage ! Tu me fais mal p… ! lâche-moi.
L’homme au téléphone, s’arrêtant de parler, intervint :
– Tu ferais peut-être mieux de ne pas le toucher !
– J’ai mon diplôme de secouriste. Je sais ce que je fais ! répliqua Matsliah avec véhémence. Arrête de bouger ! ordonna-t-il au jeune.
Stupéfait par le ton employé autant que par son professionnalisme face à la situation, le garçon au sol cessa de le repousser.
Le sang commençait à coaguler. Matsliah interpella un des copains du jeune garçon et lui demanda de couvrir son ami de sa veste. Tous, interloqués de ce Matsliah qu’ils découvraient pour la première fois, se taisaient. On pouvait même ressentir le respect commençant à se dégager de leur attitude. Le blessé attrapa son bras.
– Je savais pas que tu avais ton diplôme de secouriste ! dit-il moitié interrogateur, moitié surpris.
– Si, je me suis inscrit à la dernière session quand le prof principal nous a demandé si cela nous intéressait.
Devant le regard de plus en plus étonné du jeune, il se sentit assez en confiance, et ce pour la première fois depuis longtemps, pour lui donner des explications.
– Tu sais lorsque le feu s’est déclenché à la colo où j’étais, si le moniteur présent avait connu les gestes à faire, je n’aurais pas été brûlé comme ça ! fit-il en désignant sa joue.
– C’est pour ça que tu en connais autant sur les étoiles ? il indiquait du doigt les livres dans le sac de Matsliah.
– Ouais, lorsque j’ai été hospitalisé ça a été long. C’est mon père qui m’a acheté les livres et du coup, maintenant je suis devenu dingue de tout ce qui parle du système solaire !
Il continua voyant l’intérêt de l’autre.
– Toi aussi il va falloir que tu trouves quelque chose à faire. Il faisait allusion à la jambe abîmée.
– Ouais t’as raison, fit le jeune en grimaçant. Peut-être que tu pourras m’expliquer comment les étoiles naissent ?
Il souriait mais cette fois ce n’était pas pour se moquer !
Un lien venait de se tisser, certes fragile mais un lien quand même. À eux de le renforcer pour qu’un jour peut-être, une amitié voit le jour !
Corinne Christol-Banos – Copyright 2020