Piste d’écriture : Comment devenir une héroïne ?
« Lorsque Chloé Bathurst avait sept ans et vivait avec son père veuf et son turbulent frère, elle décida que sa prospérité future ne serait garantie que par l’arrivée, le plus tôt possible, d’une méchante marâtre. La preuve en était irréfutable. Cendrillon la demoiselle des cendres, Blanche- Neige la gardienne de nains, Gretel la tueuse de sorcière – à chaque fois une jeune femme ne trouvait le bonheur qu’après que son père eut séduit et épousé une méchante deuxième femme. »
À neuf ans, Chloé finit par reconnaître la naïveté de son souhait et se découvrit tout aussi contente que son frère lorsque leur père recommença à sortir et à rencontrer de nouvelles personnes.
Les mois passèrent ainsi, puis les années. Le père de Chloé fréquentait à nouveau, mais de façon éphémère et il ne ramenait jamais personne à la maison.
L’année de ses dix-huit ans, Chloé ayant obtenu son BAC, décida avec tous ses potes, de fêter l’évènement lors d’une soirée. Grande soirée en perspective !
Dans l’attente de la fête, elle se fit une joie, lors d’une journée shopping, accompagnée de sa meilleure amie, de s’essayer le temps d’un seul jour, à se mettre dans la peau d’une princesse de conte de fées. Elles allèrent dans toutes les grandes boutiques pour trouver LA robe. La tenue qui les transformerait de simples étudiantes en jeunes femmes élégantes.
L’après-midi fut rude. Courir de magasins de vêtements en boutiques de chaussures, en passant par ceux vendant de la lingerie et pour finir repérer le coiffeur capable de leur créer LA coiffure a-b-s-o-l-u-m-e-n-t sensationnelle ! Épuisées mais heureuses, les deux amies s’installèrent avec délice à une terrasse de café.
– Tiens Chloé, c’est pas ton père là-bas ? Son amie lui désignait un homme de dos, traversant la place principale.
Elle se retourna pour regarder dans la direction indiquée. Effectivement, c’était bien lui, accompagné d’un homme que Chloé ne connaissait pas. Ils riaient et leur conversation était animée. Elle se levait pour le rejoindre lorsqu’un geste de son père envers l’autre homme la stoppa. Il lui avait attrapé la main puis l’autre se pencha pour embrasser son père sur la bouche.
De stupéfaction, Chloé se rassit lourdement sur sa chaise, assommée. Son amie, témoin elle aussi de la scène, s’inquiéta de sa pâleur.
– Chloé, ça va ?
Celle-ci, la bouche ouverte, fixant les deux hommes, ne put répondre. Le choc était trop violent. A présent, main dans la main, ils partaient dans la direction opposée.
Enfin, Chloé émergea de sa torpeur et regarda son amie avec les yeux d’une hallucinée.
– Tu as vu la même chose que moi ?
- Oui… tu sais… c’est sûr, ça te surprends, tu t’y attendais pas… mais c’est bien qu’il est quelqu’un, non ? Même si c’est un homme.
Les paroles de son amie étaient sensées. Elle n’était pas contre les relations de même sexe, mais là, c’était de son père dont il s’agissait ! Elle ne s’y attendait absolument pas.
Elle se remémora les souhaits qu’elle faisait dans le secret de sa chambre d’enfant. Ses espoirs que son père rencontre une autre femme, qu’il aurait épousée. Cette femme, bien sûr, aurait été riche, ils auraient déménagé et leur nouvelle demeure, un manoir du XVIIème siècle minimum, tellement grand, aurait eu un étage uniquement aménagé pour elle, loin de son frère et de son épouvantable caractère.
* * * * *
Les deux amies se séparèrent après cette journée riche en évènements et Chloé rentra chez elle comme un automate.
Elle tomba nez à nez avec son frère et l’attrapant par la main, le fit galoper jusqu’à sa chambre. Elle ferma précipitamment sa porte et se tourna vers lui, qui, les yeux ronds, la regardait comme si elle était une extraterrestre.
– Qu’est-ce qui t’arrive ? fit-il.
– Papa est là ? murmura-t-elle.
– Euh, ben non ! Il est pas encore rentré. Pourquoi ?
– Je l’ai vu cette après-midi, et…
Chloé hésitait, ne sachant pas comment annoncer la nouvelle à son frère.
– Quoi ?
Bouche bée devant le comportement de sa sœur, il se demandait ce qu’elle avait bien pu voir de si terrible.
– Papa…
– Ben, quoi ? Accouche !
– Il sort avec un homme !
Elle avait débité sa phrase très vite de peur de ne pas arriver à la dire.
– Ahhh… c’est ça ! Tu vas vu Patrick alors ?
C’était au tour de Chloé de contempler son frère comme si elle le voyait pour la première fois.
– Quoi ??? tu es au courant ? Et tu le connais en plus ?
– Ouais, papa m’en a parlé un jour que nous étions tous les deux, puis il me l’a présenté. C’est un mec super sympa, tu sais…
– Pourquoi il te l’a dit à toi et pas à moi ?
– Peut-être parce qu’il savait ta réaction !
Chloé devait admettre que son frère avait raison. Elle se comportait comme une enfant à qui l’on refusait son parfum de glace préféré.
Quand son père revint, Chloé se fit une joie de défiler devant lui, lui montrant la robe qu’elle porterait le jour J, ainsi que la photo prise sur son portable, de la coiffure qu’elle aurait pour la soirée. Il la complimenta, l’assurant qu’elle serait la plus belle.
Elle avait tellement grandi, si vite. Il se remémorait la petite fille qu’elle était.
À son tour, elle lui dit qu’il paraissait détendu, rajeuni, lui tendant la perche pour qu’il lui fasse des confidences.
Il tapota le coussin à côté de lui, l’invitant à s’asseoir. C’était le bon moment lui semblait-il.
– Ma chérie, j’ai quelque chose à te dire…
La phrase de début est adaptée de L’Arche de Darwin, de James Morrow, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sara Doke, éditions Au Diable Vauvert – 2017
Corinne Christol-Banos – Copyright 2020
J’aime bcp cette histoire d’amour très bien tournée qui me renvoie à pleins de choses vraies de la vie