Piste d’écriture : Fiction
Aujourd’hui, est un grand jour. Nous marions nos parents !
C’est un jour de fête pour toute la famille et les amis. Célébrer ce merveilleux évènement, entourés de tous leurs proches, est magique.
C’est leur grand moment, celui qu’ils attendent depuis si longtemps.
La logique voudrait que ce soit nos parents qui nous marient et non l’inverse.
Des explications s’imposent :
Ils se sont rencontrés très jeunes et se sont fiancés en mai 1938. À l’époque, la tradition exigeait que l’on se fiance avant les épousailles. La date de leur mariage fixée une année plus tard fut contrariée. Un évènement dramatique en avait décidé autrement : la guerre était déclarée !
La Seconde Guerre mondiale s’est invitée au milieu des préparatifs, a tout bouleversé, a chamboulé leurs projets, leurs vies. La noce qui devait officialiser notre arrivée, à mon frère jumeau et moi, a été tout simplement annulée. Papa est parti combattre, et n’est revenu que quatre longues années plus tard. Il a retrouvé maman et deux beaux enfants de trois ans déjà.
Dès son retour, ils auraient pu s’unir pour régulariser une situation qui n’était pas du tout acceptable dans ces années-là. Mais le travail à la ferme pour s’occuper des animaux, leurs obligations quotidiennes, les a convaincus de reporter leur mariage à plus tard. Les années se sont succédé. Il y avait toujours une bonne raison pour ne pas organiser l’évènement et de fil en aiguille, ce sont des décennies qui ont défilé sans qu’ils s’en rendent bien compte.
Et nous voilà aujourd’hui, par cette belle journée de printemps ensoleillée, irisée des rires des petits enfants, tous très droits dans nos tenues endimanchées. C’est un 7 mai, exactement comme la date initiale prévue. Ils y tenaient absolument, c’était très important pour eux.
Nous rayonnons tous de joie.
Nous sommes nombreux. En plus des parents, il y a mon frère et moi, ses quatre enfants et les trois miens. Ainsi que les enfants de nos enfants et l’arrière-petite-fille de maman et papa : Gabriela, 7 ans. Puis les cousins bien sûr, les tantes, les oncles. Un frère à papa et une tante à maman. Les survivants en somme.
Les hommes et les garçons sont tous vêtus d’un smoking noir avec une chemise blanche et un nœud papillon. Leurs chaussures vernies miroitent sous l’effet du soleil. Les plus jeunes prennent leur rôle très au sérieux et n’osent pas courir de peur de se salir. Les adultes leur ont bien recommandé de se tenir correctement.
Les filles, petites princesses, font tournoyer leurs belles robes longues couleur pêche de Provence, et admirent leurs bracelets constitués de fleurs de violettes, les préférées de maman. Elles rient aux éclats et, ravissantes, s’amusent à imiter « Sissi l’impératrice » en avançant précautionneusement pour ne pas déchirer leurs magnifiques toilettes. Moi-même j’arbore la même élégance, et je souris de me voir dans cette belle robe de cocktail, assortie à mes cadettes.
Gabriela, étant la plus jeune de tous les enfants, porte une robe semblable à celle de son arrière grand-mère. Toutes les deux sont vêtues d’une belle tenue d’organza violette, avec des chaussures blanches à petits talons.
Elles portent à leur chevelure, un diadème sur lequel ont été incrustées de petites fleurs mauves. Une ombrelle de la même couleur vient apporter la touche finale à leurs atours de fête. Maman, presque timide, n’ose que très peu admirer son futur époux. Elle le trouve très élégant, et son émoi est perceptible.
Papa très fier dans son smoking, un tout petit bouquet de violettes dans la pochette de son costume, contemple amoureusement sa promise. Nous imaginons sans peine l’amour qu’ils éprouvent toujours l’un pour l’autre, après toutes ces années, rien qu’en devinant les regards qu’ils échangent.
En plus de leur mariage, ils fêtent aujourd’hui leurs 90 ans et soixante-dix années de bonheur conjugal !
Aujourd’hui, est un très grand jour. Nous marions nos parents !
Corinne Christol-Banos – Copyright 2020
